(Preparamos la traducción de las dos notas que siguen: una entrevista con Claudia Llosa y Magaly Solier, y el informe del enviado especial de Le Monde en la Berlinale, para ponerlas en línea dentro de unos momentos, pero ponemos mientras tanto las notas originales para los que puedan leer francés).
Rencontre avec le duo du film «La Teta Asustada», ours d’or à Berlin
Claudia Llosa, 32 ans, réalisatrice et Magaly Solier, qui incarne le personnage de Fausta
LEMONDE.FR | 15.02.09 | 18h46 • Mis à jour le 16.02.09 | 09h07
A l’heure où cet entretien est réalisé, samedi 14 février à 12 heures, personne ne se doute que La Teta Asustada, film qui a moins que d’autres suscité une unanimité critique, recevra quelques heures plus tard la récompense suprême. L’intervieweur moins que quiconque, qui désire simplement mieux connaître les ressorts d’un film qu’il admire, plutôt qu’il ne se pique d’avoir le nez creux (voir la désastreuse aventure Paul Schrader, vécue quelques jours plus tôt).
Les grands festivals de cinéma étant ce qu’ils sont, il y est toujours difficile de réussir un entretien, tout particulièrement avec deux interlocutrices et un interprète au milieu. Trop de stress, un temps cruellement compté, les collègues d’avant qui s’éternisent et ceux d’après qui piaffent d’impatience : on y glane ce qu’on peut, en projetant de terminer le chantier lors d’une hypothétique sortie du film en France, aucun distributeur n’ayant de fait acheté le film à l’heure de cet entretien. Huit heures plus tard, la situation est différente. En attendant le distributeur, voici la conversation, brute de décoffrage, telle qu’elle s’est déroulée.
Comment vous êtes-vous rencontrées ?
Claudia Llosa : Je faisais des repérages pour mon premier long métrage, Madeinusa, et je suis passé par le village natal de Magaly, Huanta, qui a été un des premiers villages conquis par le Sentier lumineux et l’un des derniers à être libéré. Je voulais assister à l’une de ces cérémonies spectaculaires du Christ articulé qui se donnent dans tous les villages de la région à l’occasion de la Pâque. Un Christ de taille humaine, avec des bras articulés qui lui donnent un effet de réel, est descendu de la Croix par le peuple. C’est là, sur les marches de l’église, que j’ai rencontré Magaly, qui vendait de la nourriture. Je l’ai trouvé immédiatement très attirante, très séduisante, et je me suis présentée à elle.
Magaly Solier : J’avais seize ans à l’époque et je n’avais aucune confiance en moi. Ma mère m’interdisait de parler aux étrangers et me disait que les Américains enlevaient les enfants. Mais Claudia m’a inspiré confiance et nous sommes restés en contact. Elle me téléphonait régulièrement à l’école. Ca a duré un an et un jour elle m’a dit de venir pour le casting.
Vouliez-vous devenir actrice alors ?
Magaly Solier : Je n’avais aucune idée de ce que c’était. Avant d’aller à Lima, j’ai cherché dans le dictionnaire la signification du mot casting. Jusqu’alors, j’avais envisagé de m’engager dans la police, ou d’être infirmière. Je voulais aussi être chanteuse, parce que je chante depuis l’âge de huit ans et que c’est ma véritable passion. mais je savais que c’était un rêve lointain, surtout pour quelqu’un qui vient d’un milieu modeste.
Que font vos parents, comment envisagent-ils votre carrière ?
Magaly Solier : Ils sont paysans. Je crois qu’ils commencent à comprendre seulement maintenant ce que je fais
Comment avez-vous vécu les atrocités auxquels fait allusion le film ?
Magaly Solier : Je devais avoir cinq ans à l’époque, mais ma mère m’a raconté ce qui s’est passé. Nous passions notre temps à fuir car les rebelles tuaient les hommes et violaient les femmes. Ma mère me portait dans des draps. Toutes les cicatrices que j’ai sur mon corps viennent de ces courses dans les champs. Ma mère m’a dit que je pleurais souvent et que c’était souvent un signe que les terroristes arrivaient.
Avez-vous composé les chansons du film ?
Magaly Solier : Claudia a écrit les paroles et j’ai composé la musique.
Quel est le statut de la langue quechua aujourd’hui au Pérou ?
Magaly Solier : C’est une langue qui disparaît petit à petit car elle est un signe de honte sociale. Déjà quand j’étais petite, ma mère ne voulait pas que je l’apprenne. Je la parlais avec ma grand-mère.
Claudia, comment avez-vous eu l’idée de ce film ?
Claudia Llosa : En lisant les témoignages des nombreuses femmes qui ont été violées durant ces événements. Et aussi la croyance populaire qu’elles transmettaient avec leur lait l’effroi de ce qu’elles avaient vécu à leurs nourrissons. C’est une idée très forte, à partir de laquelle j’ai créé le personnage de Fausta, l’enfant de cette peur, qu’interprète Magaly.
Ces événements sont à peine évoqués dans le film, où les personnages mentionnent simplement les terroristes. Mais les exactions n’étaient-elles pas commises aussi bien par la rébellion du Sentier lumineux que par les forces gouvernementales ?
Claudia Llosa : Oui, vous avez raison. Mais à l’époque, les choses étaient si violentes et si confuses qu’on ne savait jamais vraiment d’où venait le danger. La violence avait un double visage. C’est pour cela que j’évite d’aborder frontalement la chose dans mon film. Je ne veux pas désigner les coupables mais je veux montrer l’étendue du désastre qu’ils ont commis…
Propos recueillis par Jacques Mandelbaum
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S’il y avait un film susceptible d’effacer les commentaires désobligeants sur le niveau de la compétition berlinoise, ce serait celui-là. Révélé à la presse jeudi matin, La Teta asustada (littéralement : la mamelle effrayée), deuxième long métrage de la Péruvienne Claudia Llosa, a fait soudainement souffler le vent de la liberté, du talent et de la beauté.
La trame est légère, le propos grave, l’inspiration magique. Tout commence par la mort d’une vieille femme chantant une chanson d’une atroce beauté : celle des femmes indiennes violées durant les violences qui opposèrent le gouvernement péruvien aux révolutionnaires du Sentier lumineux.
Les exactions perpétrées de part et d’autre, de 1980 à 2000, firent 70 000 morts au Pérou, touchant principalement les indigènes. Cette toile de fond, familière à chaque Péruvien, le film s’en dégage aussitôt pour mieux en suivre les effets à travers son personnage principal, Fausta, la fille de la mourante.
Jeune et belle, celle-ci est atteinte du mal que les indigènes ont baptisé par le nom qui donne son titre au film, et qui frappe les enfants allaités par des mères ayant subi dans leur chair la violence de ces terribles années.
MÉLANGE DE GROTESQUE ET TRAGIQUE, BEAUTÉ ET CRUAUTÉ, POÉSIE ET OBSCÉNITÉ
Fausta, interprétée par la délicate et sublime Magaly Solier, c’est une sorte de Carla Bruni aux cheveux de jais et à la peau mordorée, qui chanterait en queicha (la langue des Indiens) et vivrait dans un quartier misérable, en faisant des ménages chez une riche bourgeoise de la ville, concertiste réputée qui lui vole ses chansons et son âme.
Sujette aux évanouissements incessants, terrifiée par la vie et par les hommes, cette beauté farouche développe aussi dans son utérus des excroissances qui évoquent des tubercules de pomme de terre.
Sans aller plus avant dans la description de l’histoire, on tient ici ce que ce film a de plus précieux : sa manière de mélanger le grotesque au tragique, la beauté à la cruauté, la poésie à l’obscénité. Entre le cadavre pourrissant de la mère et la joyeuse industrie du mariage qui sert de gagne-pain à la famille de Fausta, autant dire qu’on navigue ici, à la fois médusés et éblouis, en pleine monstruosité latino-américaine.
Claudia Llosa, la réalisatrice, née en 1976 à Lima, est la nièce de l’écrivain Mario Vargas Llosa, et a connu un beau succès d’estime avec son précédent film, Madeinusa, distribué en France en 2006.
Il faut impérativement retenir son nom, et inscrire désormais grâce à elle le Pérou sur la liste florissante de ce jeune cinéma d’Amérique latine qui se confronte, de film en film, à la question de l’aliénation.
Jacques Mandelbaum